Une cellule du fort (Musées de Cannes)
"Deux portes couvertes de clous et d'énormes barres de fer ne s'ouvraient que devant le gouverneur du fort, et ce n'était que par les appartements de cet officier que l'on pouvait parvenir à la chambre du prisonnier..." (source : ville de Cannes, Le Fort royal de Sainte-Marguerite au 17è siècle, Cannes, 2007). La cellule voûtée en berceau est une salle de 30 mètres carrés. De part et d'autre de la baie équipée de trois grilles de fer forgé, se placent la cheminée et les latrines. Phot. ® Mairie de Cannes
Lecture d'un extrait de la pièce de Victor Hugo "Les Jumeaux" écrite en 1839, lors de sa visite sur l'île Sainte Marguerite, pour évoquer la tragédie de cet homme enfermé à vie, par Nicolas Gachet, étudiant à l'Ecole régionale d'acteurs : "Une tombe ! Et j’ai seize ans à peine. Que ce rayon est pâle et lentement se traîne ! Nul bruit ! Parfois dans ce miroir un fantôme hideux Me fait peur quand je passe et marche à ma rencontre. C’est moi-même ! Aux barreaux aussi, quand je me montre, Je vois le laboureur s’enfuir épouvanté ! Le sommeil ne met pas mon âme en liberté. Dans mes songes jamais un ami ne me nomme ; Le matin, quand j’en sors, je ne suis pas un homme - Allant, venant, parlant, plein de joie et d’orgueil, Je suis un mort pensif qui vit dans son cercueil. C’est horrible ! jadis, j’étais enfant encore, J’avais un grand jardin où j’allais dès l’aurore, Je voyais des oiseaux, des rayons, des couleurs, Et des papillons d’or qui jouaient dans les fleurs ! Maintenant ! Oh ! je souffre un bien lâche martyre ! Quoi donc ! Il s’est trouvé des tigres pour se dire : Nous prendrons cet enfant, faible, innocent et beau, Et nous l’enfermerons, masqué, dans un tombeau ! Il grandira, sentant, même à travers la voûte, L’instinct de l’homme en lui s’infiltrer goutte à goutte ; Le printemps le fera, dans sa tour de granit, Tressaillir comme l’arbre et la plante et le nid ; Pâle, il regardera, de sa prison lointaine, Les femmes aux pieds nus qui passent dans la plaine ; Puis, pour tromper l’ennui, charbonnant de vieux murs, Sculptant avec un clou tous ses rêves obscurs, Il usera son âme en choses puériles ; Vous creuserez son front, rides, sillons stériles ! Les semaines, les mois et les ans passeront ; Son œil se cavera, ses cheveux blanchiront ; Par degrés, lentement, d’homme en spectre débile - Il se transformera sous son masque immobile ; Si bien qu’épouvantant un jour ses propres yeux, sans avoir été jeune, il s’éveillera vieux ! Oh, je le suis déjà. Mon âme est bien lassée. Enfant par les terreurs, vieillard par la pensée, Homme jamais ! Mon Dieu, vous êtes sans pitié ! Dieu ! Là-bas, comme cette fumée monte blanche et joyeuse et s’en va dans le ciel ! Quoi, l’homme fait sa gerbe et l’abeille son miel ! Quoi ! le fleuve s’enfuit ! quoi ! le nuage passe ! L’hirondelle des tours s’envole dans l’espace, La nature frissonne et chante dans les bois, Tout est plein de concerts, de murmures, de voix, Tout est doux, tout est beau sur la terre où nous sommes ; Et rien ne dit au monde, et rien ne crie aux hommes : Vous êtes tous heureux ! vous êtes libres, vous ! Eh bien ! Dans ce donjon, là, sous de noirs verrous, Privé de brise fraîche et de chaude lumière, Enviant sa fumée à la pauvre chaumière, Un prisonnier languit que les cachots tueront, Dont nul ne sait le nom, dont nul n’a vu le front, Un mystère vivant, ombre, énigme, problème, Sans regard pour autrui, sans soleil pour lui-même ! Triste et morne captif, ô comble de douleurs, Qui pleure sans pouvoir même essuyer ses pleurs ! Oh ! baigner un seul jour, dans l’air qui partout vibre, Mes cheveux, ma poitrine et mon visage libre, Et puis mourir ! Mais non, jamais ! Masque odieux !"