Lettre du 15 mars 1915
(cote 67S7)
Lecture par M. Fabien GAERTNER, comédien, ancien étudiant de l’ERAC.
Mots clés : 5ème corps, vie quotidienne, alimentation, camarades du pays
5e corps d’armée, 2e ligne de combat, 31e d’infanterie, 8e compagnie, Secteur 10
Le 15 mars 1915,
Cher Parents,
Je fais suivre à nouveau cette lettre pour apprendre avec joie que j’ai reçue à nouveau des nouvelles du 6 mars. Croyez que ça fait plaisir quand il y a une quinzaine de jours que j’avais rien reçu. Je les lis et les relis avec joie, tout en étant autour de nos 75 nos 320 qui ne cessent de tonner à quelques centaines de moi. Le jour, le soir on mange au son du canon qui vous fait tressailler et bondir de sur terre. C’est par la 1ère journée de soleil que j’écris ces lignes. Sous les arbres qui commencent à bourgeonner et ayant comme table mon p’tit sac qui pèse bien, pour dormir, sur une bonne peau de mouton qu’on a donné à tous les hommes où l’on s’y enveloppe dedans avec le couvre-pied, comme coussin, le sac, et voilà notre vie.
Croyez aussi que pour manger, on ne fait pas les dégoûtés, quand on trouve autour d’une guitoune un beau pain, on n’y tire pas des coups de pieds, au contraire, nous sommes avec Maunier et vite on se le partage, on le fourre dedans la musette, et quand arrive le diner, qu’on apporte la viande, vite on fait un trou et on la met dedans pour le soir ou le lendemain. Et ça fait bien plaisir d’avoir un morceau de pain sous la dent quand on a faim. Pour le boire, on court la nuit où quand on peut aux sources et on remplit les bidons qu’on coupe avec de l’alcool de menthe qu’on m’a envoyé de la
Crau. De temps à autres, je reçois, ainsi que mes collègues des nouvelles de la Crau et j’y en donne moi aussi des miennes pour ne pas oublier les bonnes manières qu’on m’a faites. Ces gens dont je vous parle seraient heureux aussi si vous leur écriviez un peu, quoique les connaissant pas.
Donnez bien des compliments à Monsieur Mambelly et Marie Erastour. J’ai rencontré ces jours-ci un collègue de Mougins qui m’a fait plaisir de lui serrer la main et justement il venait de recevoir un colis de friandises que nous avons dégustées. Mon ami Maunier a reçu aussi un floc de jambon et de temps à autre on y tire quelques bonnes tranches quand on a bien faim.
J’espère que les Roquettants qui sont au feu ne doivent pas encore être tous morts, et je plains les malheureuses familles qui leur maris, leurs enfants, sont tombés à nos alentours.
J’espère que cette lettre vous trouvera en parfaite santé et recevez de votre fils les meilleures amitiés, et les plus sincères. Mon collègue Maunier se joint à moi pour vous serrer cordialement la main.
Votre fils,
Hervé Lambert